Renaud Marot, photographe spécialisé dans la gomme bichromatée : « Il y a dans la gomme une matrice pour la mémoire »

Publié le par Laau

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Mystèreset boules de gomme, c'est ainsi que s'intitule la nouvelle exposition de Renaud Marot à la Galerie Décomodart.

Il y présente ses gommes bichromatées, épreuves photographiques développées selon un procédé datant de 1850. Ce procédé fait appel à un mélange de gomme arabique, de bichromate de potassium et de pigments pour fixer les ombres d'un négatif sur le papier.

 

A l'heure du numérique, pourquoi choisir de revenir à un procédé aussi contraignant que la gomme bichromatée?

Le numérique crée des images virtuelles, qui n’existent que sous forme d’un codage binaire sur un support de stockage. La gomme, comme d’autres procédés dits « alternatifs », met en jeu de la matière vivante, palpable où l’image s’imprime en creux. Pour faire une analogie, la gomme serait de la cuisine à l’ancienne, avec des produits frais et le numérique du fast food industriel. Plutôt que de cliquer sur une souris, je préfère sortir me confronter avec une technique qui ne se laisse pas facilement maîtriser. Il y a là un plaisir d’artisan.



Les gommes présentées dans l'exposition montrent toutes des espaces désaffectés, rues vides, murs écorchés. Il s'en dégage une grande noirceur. Comment utilises-tu le procédé au bichromate pour accentuer cette expressivité?
La gomme accuse les contraste et rend les hautes lumières diffuses. Elle accentue la théâtralité de ces lieux abandonnés et met une distance avec leur réalité. D’autre part les pigments utilisés (oxydes, carbone…) font partie de la « crasse » qui adhère à ces endroits (rouille, suie). C’est un peu comme si une partie de ces lieux se retrouvait physiquement dans les images. Il y a dans la gomme une matrice pour la mémoire.



Barthes disait dans La Chambre claire qu'il y a dans l'art photographique quelque chose de la promesse de la mort. Est ce qu'en faisant de la gomme bichromatée, qui est un objet physique, donc périssable contrairement à une photo numérique stockée sur internet, tu ne ranimes pas cette dimension-là de la photographie?

Contrairement à ce qu’on peut penser, c’est le numérique qui est périssable, et non un procédé aussi archaïque que la gomme. Les fichiers enregistrés sont volatiles (le magnétisme s’affaiblit), les disques durs crashent, le CD enregistrables s’effacent et on ne sait même pas si on pourra lire dans 20 ans se qui aura été enregistré aujourd’hui. La gomme, une fois sèche, est indestructible et les pigments qui forment l’image survivront aux hommes. Je dirais donc plutôt qu’un procédé comme la gomme revient du côté de la vie.

(Propos recueillis par mail, par Auréanne Colineau)



Mystères et boules de gomme, Images et tirages à la gomme bichromatée de Renaud Marot

Galerie Décomodart, 14 rue Frochot, 75009 Paris. Du 17 novembre au 5 décembre 2011

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M
Quelque chose me dérange dans cette opposition systématique qui est faite entre les supports traditionnels et numériques.<br /> Elle ne correspond pas à grand chose dans la pratique artistique. Les procédés changent, mais pas davantage qu'entre une technique traditionnelle et une autre. De même que pour les effets produits,<br /> le rapport à la matière ou le message délivré.<br /> Par ailleurs, les supports traditionnels sont numérisables et les œuvres numériques sont généralement susceptibles d'être exposés sur supports traditionnels, notamment après impression.<br /> <br /> Comparer l'art numérique à un fast food, c'est confondre les technique de la réclame (produite massivement et destinée à un public sans culture - technique qui existait, au demeurant, avant<br /> l'invention de l'ordinateur) et l'art numérique proprement dit, qui, comme tous les arts, est l’œuvre de petits artistes "artisanaux".<br /> <br /> Le mépris que le monde de l'art voue aux procédés numériques, tant dans les domaines du graphisme, de la photographie ou de la musique, me semble aussi répandu qu'injustifié.<br /> En fermant ses portes au numérique (ou en ne le considérant que comme un art mineur, ou comme une technique au service des procédés traditionnels), l'académie prend des risques importants :<br /> celui d'écraser les artistes émergents, de couper la voie au développement de nouveaux procédés artistiques, donc de s'interdire de participer à des pans entiers du développement de l'art, enfin,<br /> celui d'apparaître aux yeux de l'histoire comme les tenants de la réaction.<br /> <br /> Pourquoi comparer la gomme bichromatée au numérique et non pas à un autre procédé « noble » (avec tous les guillemets que vous voudrez), de la photographie comme l'argentique ?
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